En traduction, les erreurs ont un coût… et pas seulement selon l’angle pécuniaire. L’exercice de la traduction juridique est ardu et les écueils nombreux. Là où un traducteur débutant doit les craindre, le traducteur chevronné doit les connaître. Pourtant, aucun des deux n’est à l’abri d’une erreur de traduction. Vigilance, donc ! Car les conséquences des mauvaises traductions peuvent être considérables. Un petit tour d’horizon des erreurs de traduction juridique s’impose avant d’aborder ces exemples d’erreurs qui ont effectivement coûté cher…
Les erreurs récurrentes
En traduction, les erreurs sont généralement divisées en deux groupes : les erreurs de traduction et les erreurs de langue.
Les erreurs de traduction :
- L’omission : « l’oubli de traduction » peut concerner un terme technique ou un passage particulièrement difficile qui a fait défaut au traducteur.
- L’addition : le traducteur en dit, au contraire, un peu trop et « déborde » le texte.
- Le faux-ami : un mot de la langue source ressemble à un mot de la langue cible mais leur signification est différente.
- Le faux-sens : cette erreur consiste à prendre un mot pour un autre.
- Le contresens : c’est la traduction du sens inverse de la phrase initiale.
- Le non-sens : le sens est tout bonnement erroné, voire « absurde »…
Les erreurs de langue :
- Le barbarisme : c’est une erreur de vocabulaire due à la déformation d’un mot, la création d’un néologisme, et, le plus souvent, l’utilisation d’un homonyme (une seule prononciation pour plusieurs orthographes et sens).
- Le solécisme : cette erreur consiste à construire une syntaxe fautive.
- Le pléonasme : c’est la répétition de mots ayant le même sens.
S’il y a des erreurs qui sautent aux yeux, et sont directement visibles à la lecture des documents, certaines erreurs ne font jour que par comparaison avec la langue source. Or, il peut s’agir de l’interprétation erronée de tout un paragraphe ! En traduction juridique, cela s’applique au droit civil, au droit social, au droit pénal des affaires, au droit de la propriété intellectuelle ou encore au droit international (la liste n’est pas exhaustive). Autant de domaines où la moindre erreur de traduction peut coûter cher… au double sens du terme !
La polysémie des termes juridiques
Le droit est un domaine sensible. Le traducteur juridique assermenté (qui traduit généralement vers sa langue maternelle) doit en maîtriser les termes techniques et leur équivalence dans la langue source et dans la langue cible. Il doit étudier la culture, le contexte mais aussi l’implicite des textes original à traduire, pour être capable de faire coïncider deux systèmes de droit différent. L’enjeu, on l’a dit, est important. Or, il est une question épineuse en traduction juridique, qui concerne la polysémie des termes techniques.
La polysémie est la « propriété d’un terme qui présente plusieurs sens ». Le Larousse ajoute qu’« en revanche, la monosémie caractérise surtout les vocabulaires scientifiques et techniques. ». Il faut croire que le domaine juridique fasse exception comme le souligne le rapport du Dr Pauline Nowak-Korcz de l’université Adam-Mickiewicz de Poznań, en Pologne, en nous rappelant que « théoriquement, les termes juridiques ne devraient pas être polysémiques (…) » mais que « les termes polysémiques sont très nombreux au sein du vocabulaire juridique contrairement au nombre de monosèmes qui sont beaucoup moins représentatifs. ». Partant de ce constat, l’article démontre en quoi la polysémie peut constituer une source d’erreurs en traduction juridique dans le domaine du droit français, en invoquant l’exemple de la traduction d’un règlement du français vers le polonais où sont pointés les erreurs lexicales et les erreurs stylistiques résultant de la polysémie. Pour l’auteur, ces pièges semés sur le chemin des traducteurs empêchent la clarté du langage du droit. Il ne suffit pas de connaître le sens des mots, il faut aussi savoir l’employer dans un contexte donné. L’exemple du mot « acte » est édifiant : il peut être « compris dans le sens intellectuel ainsi que dans le sens matériel ». C’est un petit mot tout bête qui engendre de graves conséquences.
Le vocabulaire du droit est aussi technique et pointu que les enjeux sont grands. Comment un juge peut-il rendre une juste sentence si le texte juridique sur lequel il s’appuie est erroné ? Comment des pays peuvent-ils s’entendre si leur document de travail n’est pas fiable ? Oui, car une erreur de traduction peut aussi changer le cours des événements.
Une erreur de traduction peut-elle impacter l’Histoire ?
Une simple petite erreur de traduction peut-elle changer l’Histoire ? Les mots ont une orthographe et un sens, une enveloppe et une substance. Ils nous permettent de communiquer et de lire le monde à travers une grille commune à tous, mais dont nous ne maîtrisons pas tous les termes savants. Or, lorsqu’elle s’inscrit dans le domaine de la politique ou des conflits internationaux, une mauvaise interprétation entre deux systèmes linguistiques peut s’avérer préjudiciable à une nation entière…
Dans l’Histoire : « Mokatsu » ou la capitulation du Japon
Fin 1945, à l’issue de la Conférence de Potsdam, les Alliés adressent un ultimatum au Japon. Ils exigent la capitulation inconditionnelle du pays. Dans sa réponse, le premier ministre japonais utilise l’expression « mokatsu » qui signifie « s’abstenir de tout commentaire ». Il espère par sa réserve, gagner du temps. Mais l’expression est très polysémique et peut également vouloir dire « ignorer », voire « rejeter » l’ultimatum. Les agences de presse japonaises et les traducteurs lui accordèrent ce dernier sens… Nous connaissons la suite : les 6 et 9 août 1945, les États-Unis lançaient leurs bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki. L’événement est relaté par William Craig dans son ouvrage The Fall of Japan. Les linguistes s’entendent souvent autour de la gravité de cette erreur de traduction. Elle est indéniable. De là à dire que ces bombardements auraient pu être évités sans cette terrible erreur de traduction, nul ne le sait…
Un exemple contemporain : traducteurs de conférence et Union européenne
Les Inrockuptibles ont décrit le cas fâcheux d’une erreur de traduction qui s’est glissée en pleine négociation intergouvernementale. Le 10 décembre 2013, une députée portugaise soumet au vote son projet visant à faire de l’avortement « un droit européen ». L’Union européenne désigne cinq interprètes principaux : l’anglais, le français, l’espagnol, l’allemand et l’italien. Les traducteurs des autres pays européens traduisent en différé. Or, tous les interprètes ayant pour référant le français et l’allemand ont répété le contresens commis par les traducteurs initiaux, du terme portugais « rejeitar », traduit par « appuyer » au lieu de « voter contre ».
Un célèbre faux-ami
Nombreux sont les incidents diplomatiques provoqués par la traduction anglaise du verbe français « demander » par « to demand » (exiger). On peut remonter jusqu’en 1830 pour en avoir un premier exemple. Lors de pourparlers entre Paris et Washington, dans un message adressé au président Jackson, la France écrivit : « Le gouvernement français demande… ». Ce qui fût traduit par « The French Government demands… ». Autrement dit : « Le gouvernement français exige… » ! Les esprits s’échauffèrent un peu avant que l’erreur de traduction ne soit enfin corrigée.
À travers ces exemples, c’est toute la mesure du travail de traducteur juridique (et des agences de traduction) qui est prise. L’agence de traduction professionnelle et spécialisée garantit un travail précis grâce à une véritable expertise juridique. Le traducteur expert ne se contente pas de traduire de manière littérale, il lit entre les lignes, décèle l’implicite, le propos volontaire ou involontaire… Dans le domaine de la traduction de textes juridiques, le traducteur professionnel s’illustre bien loin du mot à mot ! Il est autant spécialisé en langues qu’en droit et ne souffre pas l’approximation.
Lien utile : Le rapport du Dr Paulina Nowak-Korcz sur les « Problèmes de polysémie dans la traduction juridique »